Bande de faussaires !

par | Fév 20, 2020 | Episodes

Les activités de résistance au sein de la Faculté durant la Deuxième Guerre mondiale sont connues. Elles concernaient aussi bien les étudiants que certains professeurs, dont Henry Leenhardt (1900-1961), surnommé Sabi, doyen de 1943 à 1957.

Le doyen H. Leenhardt

Un article du journal Réforme du 4 juillet 1987 donne ce témoignage d’un ancien étudiant, Pierre Séguy, alias Herbert Steinschneider :

« Ce furent René Chave et le doyen Leenhardt qui prirent l’initiative(…) ils transformèrent la Faculté de Théologie en atelier de faussaires. Le doyen, fort adroit de ses mains, fabriqua en son atelier de Fontfroide deux cylindres concentriques en laiton dans lesquels on pouvait introduire des lettres d’imprimerie. On apposait donc d’abord sur la photo le tampon de Marianne, et on appliquait ensuite autour le tampon mobile en prenant soin de changer de localité après une vingtaine de cartes. »

Il est pourtant parfois difficile de trouver les preuves matérielles de ce que tout le monde sait. Ainsi de cefameux sceau cylindre fabriqué artisanalement. Son petit-fils, le Dr Renaud Gartner a mené une enquête digne des meilleurs polars. En voici le résultat.

Les témoignages évoquent précisément le tampon ingénieux confectionné de ses propres mains par Henry Leenhardt à partir de son matériel personnel d’imprimerie, utilisé à Fonfroide le Haut et à la Faculté de Théologie. L’une de ses filles, Jacqueline Dentan dite Jacotte, se rappelait encore en 2019avoir vu «régulièrement une femme venir en visite toutes les deux semaines dans leur maison rue Marceau à Montpellier, et en repartir avec une sacoche emplie de faux papiers». Ce tampon n’a jamais été retrouvé. Ni dans les affaires familiales ni à la Faculté de Théologie. Marc Toureille, fils du pasteur Pierre Charles Toureille, et Nicolas Leenhardt, fils du doyen Henry Leenhardt, ont tenté de retrouver la trace de ce tampon en 2002. Marc Toureille avait cru voir en 1988 dans une vitrine du musée de Yad Vashem à Jérusalem, du matériel d’imprimerie provenant de la Faculté de théologie de Montpellier, et l’avait photographié. Mais Yad Vashem a réfuté que la Faculté de Théologie de Montpellier fût la provenance de ce matériel d’imprimerie, et confirmé que le nom d’Henry Leenhardt à Montpellier ne faisait pas partie de leurs archives de donateur ou de personne concernée. Nicolas Leenhardt, cité par Marc Toureille, n’a pas reconnu formellement ces éléments d’imprimerie comme pouvant avoir été utilisés par son père. Yad Vashem a identifié la photographie prise en 1988 par Marc Toureille comme représentant du matériel d’imprimerie clandestine utilisée par le maquis du Tarn (où était ce faisant parti le pasteur Jean Cadier de Montpellier après avoir été dénoncé), commandé par Charles Wittenberg, qui en avait fait don au musée.

Par ailleurs, il y a quelques mois, en 2019, il a été retrouvé dans le grenier de la vieille demeure de Fontfroide le Haut, une étagère oubliée des mémoires familiales, supportant du matériel d’imprimerie n’ayant pu être utilisé que par Henry Leenhardt, seul aïeul connu qui avait pratiqué la reliure et l’imprimerie. Il y avait des flacons de dorure en poudre, des feuilles d’or, et surtout trois boites de caractères d’imprimerie, (dont deux d’origine clairement commerciale). Une d’elles est strictement identique (aspect et marque commerciale mentionnée dessus) à celle figurant sur la photo de Yad Vashem: ce matériel retrouvé était donc bien utilisé pour confectionner efficacement des faux papiers, puisqu’en tous cas le maquis du Tarn en avait aussi utilisé un semblable. Il semble de très haute probabilité qu’à défaut d’être le tampon cylindrique ingénieux recherché partout, ces caractères d’imprimerie sont des éléments matériels qui furent utilisés par le doyen Leenhardt pour confectionner des faux papiers.

Dans un entretien en août 2019, Jacotte Dentan précise: «Le matériel d’imprimerie ayant servi à confectionner beaucoup de faux papiers avait été caché et enterré dans le parc de la Faculté de Théologie, mais en presque totalité détruit lors d’un bombardement (juin 1944). J’ai a conservé quelques caractères d’imprimerie en plomb récupérés, mais, selon moi, le dispositif cylindrique ingénieux fabriqué par Henry Leenhardt n’existe plus.»